dans les yeux
2012 | 8 min | EMS La Châtelaine |
2012 | 8 min | EMS La Châtelaine |
2012 8 min EMS La Châtelaine
L’établissement médico-social La Châtelaine (CH) accueille des pensionnaires de grand âge. La direction m’avait initialement contactée pour un film de communication qui permette de visiter l’établissement et de s’imprégner de l’atmosphère. Après discussion, je les avais convaincus que l’expérience de tournage pouvait profiter à tous, et que le résultat serait bien plus sensible en réalisant un film ensemble. J’ai proposé le docu-fiction comme point de départ.
Je suis donc partie en repérage, glanant toutes les anecdotes qui pouvaient à la fois parler de la vieillesse et sortir un peu de l’ordinaire. On me parlait des tabous autour de la sexualité au grand âge, de la sénilité qui déforme les conversations et les personnalités, du rapport entre résidents et soignants, de la distance à conserver ou pas, ou encore du plaisir de peindre ou de prendre un bain, de regarder et de sentir des fleurs… ou de boire beaucoup de vin, parfois.
Le personnel de l’établissement, a joué un rôle décisif en me décrivant la personnalité de mes futurs acteurs. C’est entre ces profils psychologiques et les anecdotes recueillies précédemment que l’on a pu écrire un scénario, et même une continuité dialoguée.
J’espérais tourner une vraie fiction.
Sauf que…
Rapidement l’équipe technique a été confrontée aux limites du grand âge : les troubles de la mémoire rendaient impossible la mémorisation de plus de 2 lignes de texte à la suite, et on ne pouvait pas refaire quinze fois une scène avec une personne de 95 ans.
Autant un acteur professionnel peut verbaliser sa fatigue et on peut prévoir 10 minutes pour finir la scène, autant avec une personne ici à bout de force, il n’y a pas de soupape : sans même l’anticiper, elle craque, et c’est terminé: si on n’a pas la scène, il faut faire avec ce qu’on a déjà.
Nous avons donc tourné dans un rythme proche de la série B.
Une scène : une prise.
Plus de scénario fouillé : une mise en scène à la volée.
Plus de continuité dialoguée: de l’improvisation.
Je me concentrais sur la direction d’acteurs, en glissant des petites intentions ça et là, en plein enregistrement.
Et en bonus : aucun retour vidéo pour moi. Je m’en remettais au talent d’Arnaud Millet, qui cadrait un de mes films pour la première fois… en espérant récolter ce que j’avais vu !
Peu à peu, je ne lisais même plus le scénario, je perdais mes notes… je plongeais dans le documentaire de notre histoire en cours d’écriture.
Il y a quelque chose de fascinant avec des acteurs de 99 ans : c’est le naturel. Ce naturel que les professionnels tentent de conserver ou de reconquérir, eux l’ont sans effort. Ils ne sont pas en train de se regarder jouer, en train de s’écouter parler : ils vivent le moment présent. Et leur justesse éclate à l’écran.
Comme si le poids des années leur avait permis d’accepter simplement cette image de soi. Avec la vieillesse, on ne chercherait plus à en extraire quelque chose de particulier : ni à la mettre en valeur, ni à en cacher certains aspects. On habiterait véritablement son corps, et on laisserait ce corps agir en révélateur, sans filtre.
Le moment du montage a été terriblement compliqué. A mi-chemin entre ce scénario écrit et ces plans improvisés, il me manquait parfois certains mots clés ou un raccord, pour rendre intelligible l’histoire qu’on avait imaginée…
Alors on est allé chercher des instants « volés », bribes de moments de vie qui n’étaient pas prévus, en se disant que ça servait le scénario; et à l’inverse, on a renoncé à des scènes écrites et dialoguées parce que justement on a trouvé qu’elles manquaient de naturel.
Encore aujourd’hui j’ai parfois envie de reprendre le montage, de bichonner ce film pour lui rendre la force qu’il a à mes yeux et qui me semble est trop édulcorée par le montage actuel…
Quoi qu’il en soit, il reste quelques scènes qui ne vieillissent pas, comme cette scène de veillée funéraire où les Mamies se mettent à critiquer sans scrupule leur copine défunte, ou cette scène de balnéothérapie, ou encore cette déambulation en rolator.